Le mythe du consommateur éthique
The myth of the ethical consumer
Timothy M. Devinney, Pat Auger et Giana M. Eckhardt
Cambridge University Press 2010, 244 pages
Un ouvrage phare dont l’ambition est de dépasser les notions abstraites de consommation responsable dans une perspective normative et généralement basée exclusivement sur des enquêtes sociologiques où prime le déclaratif sans considération du comportemental. Comme le notent les auteurs, ces études représentent pourtant 90 % des recherches empiriques sur la consommation responsable, malgré des biais manifestes.
Par une synthèse des recherches sur le sujet et leurs propres expérimentations, les auteurs concluent que :
o Les variables de sexe, d’âge et de richesse sont peu significatives dans les comportements de consommation responsable (p. 86),
o Qu’il est préférable de marquer une caractéristique responsable d’un produit plutôt que de communiquer globalement sur son positionnement éthique (p. 105),
o Que les différences culturelles en matière de consommation éthique pèsent beaucoup moins qu’il a pu être suggéré.
L’ouvrage, basé sur des enquêtes économiques, sur des observatoires d’arbitrages à choix multiples, fournit une vision nettement plus complexe que celle délivrée fréquemment. Les auteurs détruisent l’idée qu’une information sur les caractéristiques éthiques du produit puissent en soi avoir un effet déterminant sur les comportements d’achats.
Après avoir noté le biais qui consisterait à opposer des produits « éthiques » à des produits qui ne le seraient pas, les auteurs observent que si les thèmes sociaux ou environnementaux sont importants dans l’esprit des consommateurs, ils ne les considèrent pas comme significatifs pour eux-mêmes. Les consommateurs placent le ratio qualité / prix en déterminant majeur et estiment que les problèmes liés à des questions de responsabilité relèvent davantage de l’action publique que d’eux-mêmes.
En somme, il ne s’agit pas d’un manque d’information puisque dans la plupart des situations observées, les consommateurs ont eu l’information sur les qualités environnementales ou sociales des produits : « The information was there ; they simply chose to put it out of their minds and not act upon it. » (p. 133). Et lorsque les chercheurs font observer l’absence de logique entre le discours et la pratique d’achat, les consommateurs ne l’évacuent pas mais produisent différentes justifications pour expliquer cette différence.
Selon les auteurs, « le citoyen-consommateur souffre de schizophrénie idéologique » (p. 139), son discours éthique est l’expression d’un souhait en tant que citoyen, son comportement d’achat relève de sa logique de consommateur.
L’ouvrage présente une importante étude basée sur de l’arbitrage (Best – worst experiment). Chaque sujet devait évaluer dans des listes ce qu’il considérait comme étant, relativement à un produit, le meilleur et le pire sur des catégories comportant quatre allégations et sur une liste totale de seize allégations (human rights, child labor, biodegradability, recyclability, genetically modified, animal rights, …). Cette expérience basée sur des choix concrets et réalisée dans six pays indique la faiblesse des différences entre pays et indique que le thème « droits de l’homme » est dominant parmi les arguments responsables. Les arguments les plus efficaces (« human rights » et « good living conditions ») et les moins performants comme le recyclage des emballages, figurent dans les mêmes positions quels que soient les pays étudiés.
Les auteurs mettent en évidence l’efficacité d’arguments pouvant s’adresser fortement à notre volet citoyen (les droits de l’homme, le travail des enfants) mais avec un faible impact sur notre comportement de consommateurs alors que d’autres arguments entrent davantage en résonnance avec notre esprit de consommateurs.
La conclusion porte sur le nécessaire dépassement des notions d’éthique appliqué aux produits de consommation et aux croyances en l’efficacité de fournir des informations comme déterminant majeur de changement de comportement. Une meilleure connaissance du consommateur responsable doit dépasser les enquêtes traditionnelles basées sur des interviews et utiliser d’autres modalités comme les procédures d’arbitrage « Intentions without trade-offs are suspect » (p. 173). L’étude des comportements est plus enrichissante que celle des intentions.
Un livre remarquable, parfois de lecture difficile dans les explications méthodologiques, qui amène un bond considérable dans le foisonnement des études sur la consommation responsable.
Thierry Libaert