Pascale Weil, A quoi rêvent les années 90 ?, Seuil 1994
Pascale Weil, A quoi rêvent les années 90 ?, Seuil 1994, 239 pages.
Pascale Weil est directrice des études de l’agence de communication Publicis. Elle a donc un poste d’observation idéal pour suivre l’évolution des moeurs et de nos styles de vie. Et justement, son troisième livre, A quoi rêvent les années 90 ? (Seuil, 1993) a pour objet de nous fournir, à travers l’étude des transformations des codes publicitaires, quelques clés d’interprétation de notre société.
Son hypothèse de départ semble évidente : comme nous sommes dans une société de consommation et de communication, la publicité en est le meilleur révélateur car elle se situe justement à la rencontre de ces deux notions, au carrefour des mécanismes marchands et des discours symboliques.
Et que nous dit la publicité ? Que le monde a changé et que nous sommes passés d’un imaginaire d’opposition à un imaginaire d’alliance. Cela signifie que les années 70-80 qui étaient conçues sur une logique d’excommunication, la gauche contre la droite, la modernité contre la tradition, l’écologiste contre l’industriel, les syndicats contre les patrons, ont fait place depuis 1985 à une société de négociation, de cohabitation et de dialogue. On y met en œuvre le partenariat, le management participatif et l’on cherche à réconcilier toutes les notions qui hier paraissaient antagonistes.
C’est ainsi que la publicité qui fonctionnait sur un mode d’exclusion régie par des concepts de séparation, d’opposition et de distinction donne lieu actuellement à un type de fonctionnement qui repose sur des termes de relation et de conciliation ; voire de communion. A un discours bâti sur le « ou », la publicité présente maintenant une logique du « et ».
L’environnement est un bon exemple de cette évolution. Alors que les années 60-70 marquaient l’opposition totale écologie ou économie, nature ou capitalisme, où la terre était conçue comme un décor passif qu’il fallait dominer ou laisser vierge, on assiste actuellement à une alliance de l’écologie et de l’économie, à l’émergence de l’éco-capitalisme, où l’environnement n’est plus une préoccupation marginale mais intégrée par tous les acteurs sociaux, il faut faire « avec » la nature, voire passer un « contrat naturel ».
Dans le domaine des loisirs, de la nutrition, de la forme, on assiste également à un éclatement des concepts. Alors que la publicité des années 60-70 tenait un discours de positionnement très étroit d’un produit sur son secteur, la publicité actuelle jongle avec les concepts et multipositionne ses produits. Les produits cosmétiques ont de plus en plus un positionnement santé et les produits alimentaires un positionnement sur le secteur de la forme. Bref, c’est une nouvelle alliance soin et beauté, science et nature qui émerge.
La mode est un autre exemple. Elle n’est plus conçue sur une logique d’opposition de l’être ou du paraître, du luxe ou du négligé, du look ou du confort, du sport ou de l’urbain mais sur une alliance où les dessous peuvent s’exhiber, où le chic devient sport et où le cadre d’entreprise peut porter en même temps costume ou tailleur de marque et chaussures de sport. La mode est devenue plurielle.
L’ouvrage fourmille d’exemples et de réflexions sur cette tendance à l’alliance et la communion des valeurs. Son intérêt est multiple. D’abord, il est vrai que la publicité est un peu le miroir grossissant de notre société, qu’elle en exaspère certaines tendances et qu’elle peut fournir une excellente grille d’analyse comme l’avait déjà démontré Bernard Cathelat dans son ouvrage Publicité et société paru en 1970. Ensuite, A quoi rêvent les années 90 ? permet de dépasser toutes les analyses en termes de style de vie bien catégorié telles qu’elles sont effectuées par le CCA ou la Cofremca. Selon Pascale Weil, ces typologies sont caduques, car dans une société d’alliance, les valeurs ne sont plus réductibles à des attitudes étanches, un individu peut intégrer des valeurs multiples qu’il prend dans différents socio-styles. Dans une société devenue « matricielle » ; les produits souvent d’indistinction sociale ne permettent plus d’identifier leur propriétaire. Enfin, l’ouvrage permet une meilleure lecture de sondages souvent réducteurs, en apportant un éclairage global sur l’ensemble des non-dits qui traversent les questions et réponses.
A l’inverse et comme dans la publicité, on ne peut s’empêcher de reprocher à l’auteur de forcer le trait pour les besoins de sa démonstration. Elle place ainsi la montée du racisme et des sectarismes dans les années 60-70 alors que la société actuelle évoluerait plutôt vers la cohérence, la fédération et l’intégration. De même en matière politique, après la période d’opposition, il n’y aurait plus de différence fondamentale durable et les citoyens amalgameraient définitivement les partis dans un redoutable « tous pourris, tous les mêmes ». On peut aussi lui reprocher un certain angélisme publicitaire peut-être compréhensible par sa fonction. On peut être sceptique lorsqu’elle déclare que « tout concourt à reconnaître à la publicité une parole ouverte, susceptible de porter des valeurs de société au-delà de valeurs marchandes ». Il n’en reste pas moins que l’ouvrage est remarquable et qu’il devrait passionner toutes les personnes intéressées par les manifestations du changement social.