Pierre Lascoumes, L’éco-pouvoir, Environnements et politiques, La Découverte, avril 1994
Pierre Lascoumes, L’éco-pouvoir, Environnements et politiques, La Découverte, avril 1994, 320 pages
Connaisseur parfait des politiques publiques grâce à son travail de recherches au CNRS, Pierre Lascoumes nous offre ici une analyse remarquable de l’environnement ou plutôt de ses traductions médiatiques, administratives et associatives.
La thèse essentielle de son ouvrage est celle-ci : « Alors que, depuis les années 1960, les actions collectives menées au nom de la défense de l’environnement se voulaient profondément critiques des savoirs scientifiques et du mode de développement social qu’elles propulsent, la traduction de ces revendications en politique publique débouche au contraire sur un appel croissant aux experts, ingénieurs et techniciens, détenteurs véritables des rênes d’un éco-pouvoir montant ». La mise en évidence de ce paradoxe n’est d’ailleurs pas nouvelle puisqu’on la retrouve chez Lipovetsky, qui déclarait dans son ouvrage Le crépuscule du devoir : « Le supplément d’âme écologique est paradoxalement un levier supplémentaire de la spécialisation, de la fonctionnalisation, de la régulation bureaucratique du monde post-moderne ».
Pour son analyse, Pierre Lascoumes part d’une certitude : l’environnement est d’abord un construit social, il a toujours été l’objet de politiques humaines et tant qu’on opposera développement et sauvegarde de la nature, aucun progrès ne pourra être réalisé. Pour lui, l’environnement actuel, ce serait quelque chose comme la nature « moins le sauvage, plus la science, multipliée par la communication ».
La démonstration s’effectue en trois étapes. D’abord il étudie les représentations de l’environnement et plus spécifiquement la manière dont les médias en traitent. Après avoir constaté la faible place laissée à ce thème, l’auteur évoque l’importance du fait divers et de ce qu’il appelle le transcodage naturaliste médiatique qui peut induire une conception égoïste de l’écologie en ne mobilisant les individus que sur la défense de leur cadre de vie immédiat.
Il traite ensuite de la gestion publique de l’environnement et les mots deviennent très durs face à la situation de confusion des pouvoirs qu’il observe, notamment au niveau des DIREN. « L’analyse par le biais des dynamiques des politiques publiques incite à ne pas mettre le ministère de l’Environnement au centre du dispositif ». Il plaide à l’inverse pour que chaque département ministériel puisse avoir sa propre direction environnement afin d’intégrer l’événement dans chaque type de politique au lieu de cloisonner le travail environnemental au sein du seul ministère de l’Environnement.
Enfin dans sa troisième partie, Pierre Lascoumes analyse le milieu associatif de l’environnement et met en garde contre le risque de simplification : « Le référent principal de l’action associative n’est ni un état de nature à préserver, ni le constat d’atteintes à réduire, mais le besoin démocratique de participer aux décisions d’aménagement ». Il joue un rôle irremplaçable d’initiative et de contrôle de la légalité. L’auteur note par exemple que le ministère de l’environnement est plus régulièrement informé des problèmes locaux par les associations que par les services extérieurs de l’Etat.
En conclusion, Pierre Lascoumes élargit son propos et prend l’exemple de la politique environnementale pour réfléchir à la réelle marge de manœuvre de l’action politique : « Parler de politique de l’environnement ou de la santé, c’est en fait rationaliser après coup des séquences d’actions ambiguës, aux significations divergentes, aux structures vacillantes et aux effets confus ». La politique environnementale ne serait plus que l’apposition d’un label sur des arbitrages et des relations sociales.
Au total, un ouvrage très bien documenté, bourré d’exemples précis et d’idées intéressantes, parfois très discutables quand il nie l’influence électorale des Verts, lorsqu’il fait sienne la citation « les aménageurs ont les NIMBY qu’ils méritent », ou lorsque, d’un trait de plume, il sort de son champ de recherche scientifique pour affirmer « la capitulation du politique devant la toute–puissance des nucléocrates ». Cela aurait peut-être mérité un peu plus de recherche … Un livre contestable, mais dans le sens le plus positif du terme : il incite à la réflexion et au débat.