Critique sur « le Pacte impossible »
Béatrice Jalenques, maître de conférences à l’INSA (Toulouse) et auteure d’une thèse remarquée sur le discours environnemental vient de publier une analyse détaillée de mon ouvrage « Communication & Environnement, le pacte impossible ». Son article est paru dans le N° 19 de « Questions de Communication » (Ques2com) 2011 pages 383 à 385. Autant dire qu’une analyse aussi détaillée, ca fait plaisir
je le reproduis ci dessous:
LIBAERT Thierry. Communication et environnement, le pacte impossible, PUF (Développement durable et innovation institutionnelle). Ouvrage publié avec le concours de l’université de Lausanne. 2010. 180 p.
Cet ouvrage part d’un constat pour le moins troublant pour les observateurs de la communication environnementale : au lieu d’accroître la crédibilité des organisations, la communication sur le développement durable engendrerait doute, scepticisme voire une franche suspicion de la part des différents publics visés, et bien plus que de simples accusations de greenwashing ou green speaking. Cette assertion, nourrie de nombreuses analyses au fil du texte, montre toute l’évolution d‘un champ d’expertise en partie initiée par l’auteur, qui avait publié le premier livre sur le sujet, en 1992. La « Communication verte », alors envisagée avec enthousiasme, laisse ici place à une analyse beaucoup plus complexe, les dispositifs communicationnels étant scrutée sans illusions ni fards. Thierry Libaert présente ici une étude approfondie des rapports entre communication et notion de développement durable, s’appuyant notamment sur des études internationales. Très fouillées, les analyses se succèdent et confèrent une densité importante à cet ouvrage. L’auteur revendique ici une thèse particulièrement forte: « le développement durable est une invention de la communication » (p.14).
L’ouvrage débute sur les liens historiques entre l’apparition de la notion de développement durable et les dispositifs communicationnels mis en œuvre à son égard par les organisations ayant contribué à sa diffusion. Thierry Libaert définit alors « cinq modèles d’interaction » possibles explicitant les rapports entre communication et développement durable, autour de l’idée de « mise en relation ». Puis il détaille les principes de transparence et de participation liées à l’émergence historique de la notion de développement durable, démontrant que l’existence même de ces principes signifie que la communication représente une véritable composante du développement durable, et permet de poser cette notion dans un cadre démocratique reléguant plus loin les possibilités de propagande ou de radicalisation (non exclue cependant). L’auteur interroge alors les liens entre développement durable, publics et espace public, se penchant sur la théorie des stakeholders (R. Freeman et R. Philips 2002). Cela le conduit à interroger le lien entre notion de développement durable et notion d’intérêt général. L’auteur montre ensuite l’aspect « tactique » que revêt le développement durable pour les professionnels de la communication : mobiliser des publics autour d’un thème consensuel, « réenchantant » ainsi les rapports humains au sein et autour des entreprises. Cela produit en conséquence une forme d’instrumentalisation de la notion au bénéfice de l’entreprise, en particulier à travers la notion de RSE. Mais selon l’auteur, la RSE serait davantage qu’un outil au service des relations publiques des entreprises, la frontière entre objectifs et moyens s’effaçant au profit d’un positionnement central de la fonction communication.
Dans une seconde partie, Thierry Libaert choisit de montrer les difficultés à intégrer le développement durable au sein des dispositifs de communication. Il indique tout d’abord que l’aspect réputationnel supplante la dimension relationnelle dans la mise en œuvre de cette communication. L’existence du réseau Internet permettant aux différents publics de l’entreprise de comparer les différentes prises de parole de celle-ci sur un sujet donné, conduit les organisations à envisager de plus en plus un message unique valable pour tous, perdant par là en substance.
Puis l’auteur en vient ensuite à décrire ce type de communication comme un véritable échec. Tout d’abord, parce que le lien entre réputation de l’entreprise et engagement visible de celle-ci en terme de RSE ou de développement durable n’est pas démontré : plusieurs données d’enquêtes concourent pour dire que l’intérêt des publics envers les entreprises concernent en premier lieu leur cœur de métier. Ensuite, parce que les entreprises elles-mêmes n’ont pas mesuré de bénéfice réputationnel qui serait fonction de leur communication sur le développement durable. L’univers de la marque et les connotations qui lui sont associées jouerait autant voire plus que les pratiques de communication développement durable. Pour autant, les enquêtes montrent une attente forte d’engagement en terme de développement durable ou de RSE de la part des entreprises, en lien avec la sensibilité élevée des opinions envers les questions d’environnement. L’auteur souligne aussi le fait que les messages sur le développement durable, présents de façon très fréquente dans le discours des entreprises, ne se trouvent pourtant que très rarement associés à l’identité visuelle des entreprises. Ces messages sont également souvent contredits par d’autres éléments au sein des campagnes publicitaires mises en œuvre, autant de signifiés latents contradictoires. Les rapports développement durable sont aussi l’objet de contradiction : le développement durable y est présenté comme un facteur d’intégration puis il est aussitôt illustré par 3 types de performances présentées côte à côte (social, environnemental et économique). Enfin, les sites Internet spécialisés ne semblent que des vitrines froides permettant rarement les échanges interactifs, promis pourtant par l’ouverture même de ce type de dispositif par les entreprises.
Si les objectifs poursuivis par la communication sur le développement durable sont rarement atteints, Thierry Libaert montre que ces pratiques vont même jusqu’à produire des effets contraires. Tout d’abord, il apparaît que l’entreprise s’expose, au moment même où elle communique sur le développement durable. Un « effet boomerang » se produit, se posant essentiellement en termes de diminution de confiance (l’entreprise se poserait en fait comme coupable potentiel) mais aussi d’augmentation des polémiques (en lien avec le fait que les médias traitent l’environnement comme un problème), dans un contexte global de méfiance, de soupçon, voire de critique ouverte envers les entreprises. En outre, bénéficier d’une bonne image en termes de développement durable ne semble pas protéger des crises ; parce que la réputation ne figure pas parmi les éléments liés à la naissance des crises. Enquête à l’appui, l’auteur estime ainsi que la communication sur le développement durable produit un « effet déception », en situation de crise, ce qui tend à accroître l’intensité de la crise. Enfin, l’auteur s’intéresse au fait que la thématique environnementale produise de nombreuses oppositions face à son déploiement dans la publicité. Il relève les accusations de greenwashing, portant sur la dénonciation d’un décalage entre le dire et le faire, et ayant donné lieu à la disparition du BVP puis à la naissance de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP), en 2008, suite au Grenelle de l’environnement. Ces dénonciations conduisent à la mise en place d’un principe de proportionnalité, signifiant que la déclaration de l’entreprise doit refléter son action réelle. L’auteur souligne que cela entre en contradiction avec le principe d’exagération propre à la publicité, qui serait alors transformée en dispositif d’information. Au final, étant donné le contexte global d’un rejet de la publicité en général, cela explique pourquoi le débat ne peut se concentrer aujourd’hui que sur les critères de normalisation de l’usage de l’argument écologique dans la publicité.
Thierry Libaert aborde ensuite la question de l’afflux de la thématique environnementale au sein de la communication interne des entreprises. Cette montée en flèche importante est à rapprocher du besoin fort de mobiliser les salariés autour d’une notion consensuelle. Or, avec le développement d’Internet, les salariés sont à même d’identifier les décalages possibles entre communication interne et communication externe, ce qui n’est pas sans conséquence sur la perception de leurs propres objectifs professionnels. Ils peuvent ainsi se montrer surpris du ton militant présenté au sein de certaines parutions de leur entreprise. La perte de repère des salariés qui s’ensuit est aussi liée au fait que les entreprises idéalisent fortement l’esprit animant leur salariés, évoquant la solidarité, sans tenir compte de la solitude structurelle qui les mure entre eux.
En dernière partie, l’auteur propose de s’écarter de la question du « comment mieux communiquer sur le développement durable » pour se centrer sur le fait que l’intégration du thème développement durable pourrait conduire à repenser l’ensemble du processus communicationnel. Il propose ainsi sept éléments allant en ce sens : 1) le principe responsabilité, prenant par exemple en compte l’impact du support publicitaire sur la cible visée ainsi que sur les cibles adjacentes, 2) une communication humble, que l’on peut qualifier d’un appel à la sobriété sur la forme, 3) une communication holistique, 4) une communication participative, 5) slow PR, renvoyant à une communication plus persistante dans la durée sur le contenu des messages délivrés, 6) la transparence communicationnelle, partant d’une réflexion incluant les parties prenantes et consistant à délimiter la frontière entre secret et transparence, 7) une communication de modération, que l’on peut qualifier d’un appel à la sobriété sur la quantité de dispositifs mis en place, incluant une évaluation dans le but de lutter contre le gaspillage.
Ces différents éléments se combinent jusqu’à transformer la perception de la place et du rôle de la communication, entraînant l’abandon d’une vision mécaniste classique, ou d’une vision technique, pour envisager une conception éco-systémique de la communication, reposant sur les travaux d’Edgar Morin. Cette théorie éco-systémique s’appuie d’une part sur la notion d’interaction, emprunté à la théorie des systèmes, et, d’autre part, sur la notion d’impact, emprunté à l’écologie. Elle puise également à d’autres sources, dont la théorie relative de l’organisation décrite par Lawrence et Lorsch. Les dispositifs de communication sont ici considérés comme disposant d’un amont et d’un aval, c’est-à-dire qu’ils produisent des impacts à la fois lors de leur émergence et de leur déroulement, mais aussi lors de leur diffusion à travers l’infinie multiplicité des interprétations possibles de leurs messages. En conclusion, la notion de développement durable participe au réenchantement de notre monde, car elle commence par redéfinir et amplifier la communication vue comme un dispositif éco systémique.
La thèse avancée par Thierry Libaert laisse place ainsi à l’esquisse d’une théorie ambitieuse, l’éco-systémisme, dans laquelle la notion de développement durable correspondrait à la fois à une invention produite par la communication, mais aussi à une réinvention de la communication au sens large.
: Edgar Morin, « Pour une crisologie », Communications, 1976, volume 25, p. 149-163.
: Paul Lawrence et Jay Lorsch, Adapter la structure de l’entreprise, Ed. d’organisation, 1989.