la faute au greenwashing
Le vert vous donne-t-il le blues ?
Vous en avez assez qu’on vous culpabilise sur le sort de la planète ? Tout ce vert dans la pub vous donne le blues ? Le mot « durable » à toutes les sauces vous agace prodigieusement ? Vous êtes atteint de green fatigue. Pas de panique, vous n’êtes pas le seul.
Impossible de freiner la green fatigue. Un mal qui, selon l’expression inventée par les Américains, frappe les personnes rétives à un comportement écologiquement correct. En 2008, une enquête du Bureau central de statistiques des Pays-Bas (CBS) arrive à la conclusion que le comportement écologique des Néerlandais laisse à désirer. Le verre est moins souvent déposé dans les bulles à verre et, en dix ans, le tri des déchets de fruits et légumes a diminué. Selon les premiers résultats de l’enquête menée par l’Ifop (Institut français d’opinion publique) en 2010, de moins en moins de Français jugeraient important d’en savoir plus sur les questions écologiques. Et en Belgique ? Difficile à dire. Car les Belges restent, de loin, les champions d’Europe du recyclage des déchets d’emballage. Leur score ne cesse même de grimper. Alors que 76 % des déchets étaient triés en 2005, ils étaient 80,4 % en 2007 (dernière année de référence). Ce qui n’empêche certainement pas certains consommateurs de soupirer en face de leurs sacs jaunes, bleus ou blancs.
Les Belges restent tout de même convaincus de la nécessité d’agir en matière d’environnement. Selon la dernière enquête Fact (Feed the Advertising Community with Trends) de RMB Marketing, 60 % des personnes interrogées se disent persuadées que leurs habitudes de consommation causent des préjudices à l’environnement et qu’elles doivent prendre des mesures. Entre 60 à 70 % des sondés ont déjà commencé à changer leur mode de vie et à réduire leur consommation. Au menu, le recours aux ampoules économiques, le fait d’éteindre les lampes plus souvent, de cesser de laisser couler l’eau et de mettre les appareils hors tension. Dans la perspective essentielle de réaliser de substantielles économies d’abord. L’enquête démontre également que les Belges sont demandeurs d’informations concrètes pouvant les aider à adopter des comportements responsables. Il n’empêche, la green fatigue gagne tout de même du terrain.
La faute au greenwashing
La principale source de green fatigue a été nourrie par la communication des entreprises qui se sont précipitées sur cette vague écologique. Les grandes marques ont pris le tournant environnemental pour se forger un capital sympathie auprès des éco-consommateurs. Les campagnes publicitaires aux allures éco-bio sont devenues tellement nombreuses qu’elles ont donné naissance à un nouveau concept : le greenwashing. « Cette sur-utilisation de l’argument écologique dans la publicité consiste à survaloriser un élément et à le monter en épingle avec des terminologies écologiques, explique Thierry Libaert, professeur et responsable du Laboratoire d’analyse des systèmes de communication d’organisation (Lasco) de l’UCL et dont le livre Communication et environnement, le pacte impossible (PUF, 2010) vient de sortir. On met le mot « durable » à toutes les sauces, le tourisme durable, l’agriculture durable, etc. La couleur verte est partout. Des marques s’autoproclament labellisées. Un seul petit élément est monté en épingle. Par exemple, une grande entreprise pétrolière met en avant ses éoliennes, alors que celles-ci ne représentent que 0,1 % de son chiffre d’affaires. »
Trois secteurs, parmi les plus polluants, sont champions en greenwashing : l’automobile, l’énergie et les bâtiments et travaux publics. Vous avez dit bizarre ? « L’objectif est de travailler sur leur image d’entreprise pour lui donner une réputation écologique, développe Thierry Libaert. Les entreprises qui communiquent le plus sur leur image écologique sont celles qui ont le plus à se faire pardonner. Comme si la communication écologique était le fait des entreprises ayant les impacts environnementaux les plus lourds. »
Dans les faits, toutes les études montrent que cette technique marche de moins en moins. « Le public est de plus en plus sceptique, poursuit Thierry Libaert. Du coup, on demande de plus en plus aux autorités de contrôle, comme le Jury d’éthique publicitaire (Jep), de mettre en place une réglementation pour encadrer davantage la communication des entreprises lorsqu’elles parlent d’environnement. » Une étude menée depuis quatre ans en France montre une baisse de l’utilisation de l’argument écologique dans la publicité. « Cet argument a été multiplié par cinq durant les trois dernières années, poursuit le professeur. C’est considérable. Cette année, pour la première fois, on observe plutôt un tassement. Les entreprises ont compris qu’il fallait arrêter d’utiliser cet argument écologique un peu n’importe comment. »
Les conclusions du premier colloque international portant sur la communication verte, organisé par l’UCL et qui vient de s’achever à Bruxelles, va dans ce sens. « On fait une fixation sur le problème de la publicité utilisant l’argument écologique, résume Thierry Libaert. Mais on ne peut pas comprendre ce phénomène indépendamment de la méfiance envers l’entreprise et celle, plus globale, envers le monde de la publicité. Cette méfiance se focalise sur le greenwashing et la relation à l’environnement. » La préoccupation environnementale est devenue très forte. Chacun a la conviction qu’il faut agir de ce point de vue-là. « Mais voir des entreprises qui donnent le sentiment d’être responsables des problèmes d’environnement sans agir réellement agace grandement l’opinion. »
Quelles solutions pour les entreprises ? « Elles feraient bien de communiquer sur des réalisations plutôt que sur des engagements de moins en moins crédibles, répond Thierry Libaert. Les entreprises devraient réaliser des actions concrètes, nouer des partenariats. Une fois ceux-ci réalisés, alors seulement les entreprises peuvent communiquer dessus, mais sans se gargariser pour autant. Qu’une entreprise prenne à son compte des réalisations environnementales, alors que l’ensemble des entreprises en font autant agace l’opinion. Une communication plus neutre, plus objective, aurait plus d’impact. […] Il faut réintroduire le débat sur l’environnement au c£ur même de l’entreprise. » En résumé, moins de bla-bla, des actes.