Publicité et Climat, on avance ou non?

Publicité & Climat, trois ans après : quelles avancées ?

 

Article publié dans Le Monde. Jeudi 29 août 2024. Page 24. 

 

 

  Promulguée au Journal Officiel le 22 août 2021, la loi Climat et Résilience[1] aura profondément marqué la vie politique et les orientations climatiques en France. Elle l’aura fait tant sur son   processus d’élaboration basé sur une conférence citoyenne sur le climat débutée le 4 octobre 2019, que par son contenu et l’adoption de 146 propositions à l’issue de 7 sessions et 8 mois de travail pour les 150 participants[2].

 

Parmi les 7 titres et les 305 articles de cette loi, un volet mérite une attention particulière, celui du lien entre la publicité et la lutte contre le dérèglement climatique. Ceci pour trois raisons principales. D’abord en raison de ses enjeux. La publicité concerne en effet chacun d’entre nous ; chaque individu reçoit en moyenne selon les méthodologies entre 400 et 3.000 messages publicitaires quotidiennement[3]. Le législateur ne s’y pas trompé puisque ce thème est placé immédiatement après une déclaration générale sur les objectifs de l’accord de Paris et du Pacte Vert, au tout début de la loi.

 

 

Ensuite, et pour avoir été auditionné sur ce sujet par les membres de la Convention citoyenne, je peux en témoigner. Le thème du rôle de la publicité dans la transition écologique n’avait pas été anticipé à l’origine de cette convention. Pour l’essentiel, il était envisagé des mesures sur la mobilité, l’alimentation, le logement, mais les aspects liés au rôle du consommateur restaient embryonnaires. Ce sont les participants qui, dès la deuxième session de travail, ont fait monter ce sujet.

Enfin, ce thème offre un éclairage hautement significatif des logiques de pouvoir à l’œuvre dans la prise de décision politique, et sur le devenir de préconisations issues d’un des plus fantastiques exemples de démocratie participative.

 

 

Trois après la Convention citoyenne, quels progrès ?

 

 

Avec le recul de trois années, force est de constater l’absence de toute avancée significative sur ces sujets, et comparativement aux préconisations de la Convention Citoyenne, il s’agit d’un échec total. En dehors de quelques mesures hautement symboliques à l’exemple de l’interdiction de la publicité relative à la promotion des énergies fossiles (article 7) ou celle de l’allégation de neutralité carbone (article 12), aucune mesure réellement structurante n’a été adoptée, et les pratiques de greenwashing continuent de prospérer[4].

Phénomène étonnant s’agissant d’un enjeu de communication, jamais avant ou après la loi Climat et Résilience, le sujet de la publicité n’a fait l’objet d’un débat entre les principaux acteurs concernés, c’est-à-dire entre les professionnels de la publicité, des médias et les ONG environnementales et les associations de consommateurs. Pourtant proposée par le rapport remis au ministre de la transition écologique le 6 juin 2020[5], la proposition d’assises de la publicité a toujours été écartée.

 

 

Le plus inquiétant réside dans l’absence de respect des engagements. Dans une volonté d’évitement des contraintes légales, les acteurs de la communication commerciale ont formulé en mars 2021 une série de sept engagements[6]. Si l’on excepte l’engagement relatif à la sensibilisation des salariés, souvent réduit à une présentation de la fresque du climat, aucun engagement n’a été tenu. Dans sa note publiée le 26 juin 2024, l’Arcom, autorité chargée d’évaluer l’efficacité des contrats climat, notait que seules 18 % des entreprises assujetties étaient effectivement signataires d’un contrat climat[7]. Le ministère de la Transition écologique semble avoir abdiqué sur ce point, avec un comité de suivi qui ne s’est plus réuni depuis le 5 juin 2023.

 

 

Tant d’efforts et d’énergie gâchés ! il reste toutefois quelques signaux positifs. Une prise en main effective du sujet par le Secrétariat Général à la Planification Ecologique (SGPE) qui s’est rapidement rapproché du monde universitaire pour nourrir objectivement sa compréhension du sujet, la mission spécifique confiée avant l’été par le Premier ministre à l’Inspection Générale de l’Environnement et du Développement Durable, l’Inspection des Finances et à l’Inspection Générale des Affaires Culturelles, les initiatives de la Commission Européenne pour faire du Consommateur un levier de la Transition Ecologique (Propositions de directives des 30 mars 2022 et 22 mars 2023), tout cela indique une inscription durable du sujet dans l’espace public.

 

 

La lutte contre le dérèglement climatique ne peut faire l’impasse sur les questions de consommation, de communication commerciale et d’imaginaire publicitaire. Il est temps que la profession constate que le débat ne se réduit plus à une guerre de position « pro » et « anti-pub ». Il se pose désormais et en urgence, en termes d’accompagnement d’une société vers un mode de vie sobre et désirable.

 

 

Thierry Libaert

Professeur des Universités

Earth & Life Institute

Université catholique de Louvain.

 

 

[1] Loi N° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

[2] www.conventioncitoyennepourleclimat.fr

[3] Johanna Yakin. Les Français sont-ils vraiment exposés à 5000 messages publicitaires par jour. Radio France. 7/11/2019

[4] ADEME-ARPP. 11èeme bilan Publicité et Environnement. 14/6/2023

[5] Géraud Guibert, Thierry Libaert. Publicité et transition écologique. Vie Publique. 6/6/2020.

[6] Filière Communication. La Filière Communication s’engage pour le climat. Stratégies. 9/3/2021

[7] ARCOM. Rapport d’évaluation de l’efficacité des contrats climats. Premier état des lieux sur l’exercice 2022. 26/6/2024