Roland Cayrol, Les Français et la politique : le grand malentendu, Seuil, 1993
Roland Cayrol, Les Français et la politique : le grand malentendu, Seuil, 1993
Roland Cayrol, Directeur de recherche à la Fondation Nationale des Sciences politiques, Directeur de l’Institut de sondages CSA, vient de publier Le grand malentendu, les Français et la politique aux Editions du Seuil. Il s’attèle à l’analyse de la rupture de la représentation dans le système politique français et à ses éventuels remèdes. Il affiche un objectif ambitieux : « il y va du salut de la démocratie dans ce pays ».
Pour Roland Cayrol, les raisons du divorce entre les Français et la politique sont nombreuses. La première est la croyance, de plus en plus partagée, de l’impuissance des hommes politiques à s’attaquer aux grands fléaux contemporains, au premier rang desquels figure le chômage. En cette période d’économie régnante, « l’incapacité à faire baisser le chômage a sans conteste donné un sacré coup à la crédibilité du politique ».
Deuxième raison, la non prise en considération par la classe politique de sujets ou d’aspirations sociales. En conséquence, il n’y eut aucun vrai débat sur l’immigration, mais une succession de petites phrases sécuritaires ; aucune discussion sur l’éducation et la formation, qui figurent pourtant à la seconde place au tableau des inquiétudes des Français ; aucune vraie prospective sur l’écologie, mais une succession de manœuvres destinées avant tout à rallier un électorat écologiste dispersé.
Enfin, troisième raison, l’apparition de grands fléaux comme le sida, pour lesquels les Français ont depuis longtemps déplacé leur centre d’espérance des hommes politiques vers les hommes de science.
Pour Roland Cayrol, il ne s’agit pas de crier haro sur les acteurs politiques en les chargeant de tous les maux. Les Français « doivent admettre que le politique (l’Etat), n’a pas à savoir donner à tout moment des réponses à toutes les préoccupations de la société civile, surtout lorsque ces réponses n’existent pas ».
Exemple de cette nouvelle incompréhension, le rejet des notions de gauche et de droite. C’est en 1989 que, pour la première fois, une majorité se déclare convaincue du rejet de cette échelle du classement politique : 56 % la jugent obsolète, contre 36 % qui l’estiment toujours valable. Fait nouveau, alors que les plus critiques envers ce classement étaient les citoyens de droite, dorénavant, un électeur de gauche sur deux partage cette critique.
« Carriéristes, éloignés des préoccupations des gens, inefficaces et corrompus », l’image des hommes politiques est au plus bas. Le malentendu serait-il définitif ? Après avoir dressé un constat particulièrement pessimiste – lucide – de la situation, Roland Cayrol tempère son propos.
D’abord, selon lui, les Français ont les hommes politiques qu’ils méritent. L’auteur cite cette déclaration d’un député : « Les électeurs nous accusent de bénéficier de passe-droits, mais chaque fois qu’un électeur nous demande d’agir pour lui, c’est pour un passe-droit ».
Ensuite, parce que le sentiment de « tous pourris » n’est pas nouveau. Les Français estiment que si l’on parle beaucoup de la corruption à l’heure actuelle, c’est avant tout parce que les juges et les journaux font mieux leur travail.
Enfin et surtout, parce que si nous n’apprécions guère les élus, les politiciens, au fond, nous aimons bien notre maire, notre député. Seul un Français sur cinq a une mauvaise opinion de « son » député. Comme l’écrit Roland Cayrol, « les députés, pouah !, mais mon député, il n’est finalement pas si mal ! »
En fait les hommes politiques ne se sont pas aperçus que les Français leur demandaient autre chose que d’être compétents et efficaces. Alors qu’il y a encore quelques années, la principale qualité attendue d’un homme politique était l’intelligence, aujourd’hui, 78 % des français placent en premier lieu l’honnêteté, avec 30 points d’avance sur la connaissance des dossiers, le dévouement et l’intelligence.
Comment faire pour combler ce fossé, pour rapprocher le citoyen de la vie politique ? Roland Cayrol avance quatre pistes :
– la moralisation de la vie politique : « Si un clan sait coupable l’un de ses membres, il doit comprendre que c’est la réputation du clan lui-même qui est en cause devant l’opinion publique » ;
– la restauration de la vie représentative, et notamment des pouvoirs du Parlement ;
– la fin du cumul des mandats, « seul moyen d’obliger chaque élu à remplir effectivement les devoirs de sa charge » ;
– l’ouverture des partis politiques : ceux-ci devraient associer à leurs décisions des coordinations, des réseaux d’associations ; voire des syndicats, car, faute de s’ouvrir, ils ne pourront que « perpétuer leurs langues de bois respectives ».
La fin de l’ouvrage comporte quelques pages très critiques sur la « pseudo démocratie audiovisuelle » et sur la télévision, qui présente de plus en plus la vie politique sous l’angle sportif d’affrontements entre leaders : « Les studios de la télévision deviennent le lieu principal de la politique ». La télévision présente néanmoins un double aspect, celui de corollaire irremplaçable de la démocratie et de support technique rêvé du suffrage universel et celui d’un formidable élément de caricature de cette même démocratie.
Roland Cayrol avait publié en 1978 un ouvrage de recherche, La télévision fait-elle l’élection ? (Presses de la F.N.S.P.), dans lequel il relativisait fortement les supposées relations entre l’influence de la télévision et le sens du vote des citoyens téléspectateurs. Son dernier ouvrage complète ses propos : la télévision n’a pas, ou peu, d’incidence sur le vote ; par contre, elle entraîne des conséquences gigantesques sur le fonctionnement démocratique.
En conclusion, nous ne pouvons que recommander la lecture de cet ouvrage, qui se lit comme un roman, avec une multitude d’informations à chaque page, on regrettera toutefois un excès de formules journalistiques : « il est temps de redresser la barre », « il faut réconcilier les Français et la politique », etc. Autant la première partie, le constat, est convaincante, autant la seconde partie comporte trop d’exhortations pour l’être totalement. Nous pouvions néanmoins nous en douter : pour résorber le grand malentendu, il eut été étonnant qu’un livre suffise.